Cela fait cinq ans que je suis arrivée à New-York. Cinq années qui sont passées à une vitesse folle. Cela m'a beaucoup changé du Texas, où le temps passait tellement lentement. J'avais beau être occupée -et pas tout le temps à faire de bonnes choses-, j'avais l'impression qu'une heure était une journée, une journée une semaine. Et ce n'est pas agréable, comme on pourrait s'y attendre. Qui n'a pas rêvé de voir se prolonger sa semaine de vacances ? Certainement pas moi en tout cas. Que cela fut les vacances ou la période scolaire, pour moi c'était du pareil au même : l'enfer au quotidien. Se prostituer à 18 ans n'a rien de gratifiant, et encore moins de plaisant. Se faire battre depuis son plus jeune âge non plus d'ailleurs. « Ça fait cinq ans et tu y penses encore. » Parce que vous pensez que l'on peut oublier de pareilles horreurs si facilement ? Non, bien sûr que non. Je ne suis même pas sûre que j'arriverais à les oublier un jour. Alors oui, j'y pense encore, jour après jour, nuit après nuit. Chaque instant où je ne suis pas occupée à trier des papiers, prendre des rendez-vous, répondre à du courrier, j'y pense. Chaque fois que je suis seule, j'y pense. Et j'ai peur, toujours autant. « Bon, en cinq ans, tu as eu tout le temps d'aller voir un psy ! » Un psychologue ? J'ai toujours pensé, à tort, que les 'médecins du mental' étaient réservés aux fous. Je sais que c'est faux, mais je ne peux m'empêcher de le penser ; et je n'ai vraiment pas envie de passer pour une folle, ou de me sentir folle : car je me sentirais cinglée si j'allais dans un cabinet de psy. Ma mère est dérangée, mon père est perturbé, mon ancien petit ami est déséquilibré ; imaginez-vous bien que je n'ai aucunement envie de finir comme eux, et c'est pourquoi je suis ici, à New York. Alors ne plus songer à ça, oui ; aller chez un psychologue, non. J'ai vaguement réfléchis comment je pourrais me faire une raison, mais je n'ai pas trop approfondi faute de temps. Du lundi matin au vendredi soir, je travaille, il faut que je puisse me libérer à tout moment le samedi en cas d'urgence, et le dimanche je me repose. Ou je fais du sport. Mais je ne me casse pas la tête à trouver une solution pour remédier à mes cauchemars éveillée (ou pas).

Il y a de ça une petite dizaine de jours, alors que j'allais comme tous les midis acheter mon casse-croûte et celui de mon patron à la petite boulangerie en bas du cabinet, j'ai entendu deux femmes dans la queue, discuter du dernier crime qui avait eu lieu dans le Bronx. « Oui oui, comme je vous le dit. Une femme comme vous et moi, qui s'est pris trois coups de couteau dans le dos. Je vous assure ! La pauvre, elle en est décédée. Et le pire ! Elle était innocente. Tout à fait, innocente. Un voyou l'aurait agressée sans raison aucune lorsqu'elle faisait tranquillement son jogging. Ce genre de nouvelle me fait vraiment peur. Pas vous ? Je crois sincèrement que je vais m'inscrire dans un club de sport de combat, il paraît qu'après avoir pris des cours, on se sent nettement plus rassurée. J'en connais un sympa, mon fils y allait avant sa fracture, je ne sais plus bien le nom, attendez je vais le retrouver. » Un sport de combat ! Mais oui ! Comment n'y avais-je pu ne pas y penser plus tôt ? Cinq ans que j'habitais à New-York, et jamais l'idée de faire un sport tel que celui-ci ne m'avait effleuré l'esprit. J'en étais d'ailleurs étonnée. J'avais alors interrompue ces deux dames, et avait demandé à celle qui connaissait un club, l'adresse dudit club, justement. « Oh, vous ne vous sentez pas rassurée non plus ? » J'avais murmuré un bref oui, ce qui n'était pas tout à fait un mensonge, et avait attendue impatiemment qu'elle finisse de jacasser sur des détails inutiles de ce fameux crime, qu'elle avait d'ailleurs déjà raconté à son amie, afin qu'elle me donne le nom de ce club de sports de combats -qu'elle avait fini par retrouver-, qui se révélait être un club qui enseignait les arts martiaux mixtes. « Le propriétaire du gymnase qui est aussi l'entraîneur est vraiment gentil, je vous assure, balèze, imposant, mais il enseigne très bien, mon fils en était content. » Je la remerciai rapidement, et allait payer les deux sachets-repas. Je rangeais le nom du club dans un coin de ma tête, et retournait au boulot, soulagée de ne pas avoir à chercher moi-même (pour une fois) un moyen d'être rassurée et de défouler ma rage accumulée.

Je m'étais promis d'y aller très rapidement, mais le week-end suivant avait été occupée par un imprévu professionnel : la base de donnée du cabinet d'avocat s'était effacée subitement, et il avait fallu se démener tout samedi et dimanche pour rétablir l'ordre, ce qui n'avait pas été chose facile. J'avais ensuite travaillée toute la semaine, et voilà qu'aujourd'hui, samedi, j'avais du temps pour moi. C'est donc plus sereinement qu'à l'accoutumée, que je suis sortie de chez moi pour aller voir ce fameux gymnase. Arrivée à destination -cela n'avait pas été très difficile de le trouver, les indications de la femme de la boulangerie étant plutôt claires-, j'avais d'abord été étonnée de l'apparence du gymnase. Il n'était pas très neuf, et les années se faisaient sentir. Je m'étais ensuite rappelée ce que la femme avait dit : le propriétaire était l'entraîneur. Un seul homme était donc derrière tout ça, et ce n'était alors pas étonnant qu'il n'ai pas pu se permettre d'avoir une façade aussi jolie que les gymnases municipaux. Je décidai néanmoins d'entrer, car ce n'est pas l'allure du bâtiment qui peut me faire changer d'avis ; la qualité de l'enseignement donné prime.

Je pousse la porte, la referme derrière moi, et m'avance un peu, cherchant des yeux un bureau faisant office d'accueil, ou l'entraîneur en personne. Je ne mets pas trop de temps avant d'apercevoir le coach aux muscles saillants, et dépassant de trois têtes la plupart de ses élèves. J'attends contre le mur et me fais discrète, pour ne pas déranger le cours, espérant tout de même que le professeur m'aperçoive et s'interrompe pour venir me demander ce que je fais là. J'attends cinq minutes, mais il ne m'a toujours pas remarqué. Je regarde sur un panneau où les horaires des entraînements sont affichées, et vois que ce cours se termine dans une bonne heure. Bon, je ne vais peut-être pas attendre qu'il se termine, alors je me décale un peu et marche en direction de l'homme à la silhouette massive. Je fais attention de m'arrêter avant les tapis, car je ne voudrais quand même pas enfreindre les règles s'il faut faire un salut quelconque avant de mettre les pieds sur le terrain d'entraînement. J'attends que le coach regarde dans ma direction ou les environs, et fait un signe de la main pour qu'il me repère.

Misérable... Voilà ce qui pouvait résumer ma vie, ma chambre, mon quotidien et tout ce qui pouvait être qualifié dans le dictionnaire. Le réveil sonnait à nouveau, et une journée comme toutes les autres allait commencer. Et comme tous les jours je prenais ma douche en utilisant le moins d'eau possible pour que la facture d'eau ne soit pas exorbitante à la fin du moi, bien que les factures l'étaient. Lorsque j'enfilais un débardeur en sortant de la douche et après m'être essuyé, mes côtes me firent mal, il était vrai que la nuit dernière j'avais eus un combat. Un de ses combats où rien ne se déroule comme prévu, où j'aurais du gagner aisément contre cette brute sans cervelles mais où l'adversaire n'avait pas été réglo'.. Alors que j'avais été à main nu il avait pris une sorte de pied de biche, j'avais certes gagné le combat et les 500 dollars du vainqueur, mais mes côtes se seraient mieux porté si j'avais refusé le combat dès le départ. Mais évidemment, j'avais besoin de cet argent, fini le temps des grandes soirées où on se transférait des centaines de milliers de dollars, fini le temps où on pouvait presque acheter un restaurant quand on avait faim. Maintenant j'étais un crève-la-faim, et mes poings ainsi que mon niveau de combat étaient mes seuls outils de travail, mon seul revenu. Je sortais de l'appartement du premier étage, là où je vivais pour descendre dans le gymnase au rez-de-chaussée. Je portais le débardeur noir, un short large noir et des sortes de sandales pour faciliter le retrait de celles-ci en grimpant sur le tapis.

La salle était l'endroit que je ne quittais pas, sauf pour faire mes courses et lors des combats, sans quoi je restais ici tout le temps, seul, à m'entraîner, dormir et donner des cours. Je n'avais même pas la télé, enfin si mais elle ne marchait plus, c'était de plus en plus insupportable, de quoi devenir fou au final. Je sortais du local où j'entreposais tout le matériel, le buste d'un mannequin avec du sable à l'intérieur pour entraîner les avants-bras et les coups au sol. Je m'entraînais ainsi au combat en faisant par-ci par là des renforcements musculaires: Pompes; abdominaux, gainage, tractions, développé couché et autres exercices... Je passais ma matinée à m'entraîner encore et encore, défoulant toute la rage que j'avais entreposé en moi pendant des heures jusqu'à ce qu'il fut onze heures. L'heure d'aller reprendre une bonne douche et de se diriger vers le réfrigérateur où on pouvait trouvé ... Rien! Je n'avais même pas de quoi manger ce midi, je prenais mon mal en patience, de l'argent arriverait cette après-midi avec les entraînements. Je soufflais et allais attendre à l'entrée les premiers arrivants, les bras croisés en ayant ouvert la grande porte principale. A quinze dollars la séance, je ne pouvais pas beaucoup vivre mais au moins les très rares personnes qui venaient, venaient tout le temps. Je faisais comme je pouvais et ça m'arrivait de ne pas manger, mais en ce moment c'était trop souvent, il fallait que je trouve quelque chose... L'argent d'hier soir avait déjà été posé à la banque pour recouvrir la partie d'un crédit, j'avais déjà les poches vides.

Les combattants arrivaient, et j'avais alors une quinzaine de personnes devant moi, des nouveaux. J'entraînais selon les niveaux des combattants, je n'allais pas travailler la même chose un nouveau et une personne qui combat depuis déjà trois ans, ou alors tout ça allait être un massacre. Ils n'étaient pas très doué, et je m'en rendais réellement compte quand je commençais à les entraîner, beaucoup d'entre eux ne reviendraient pas tout de suite. Ils avaient dû s'inscrire pour uniquement effrayer les autres et jouer les petites frappes, j'énonçais quelques règles, je n'étais pas leur père mais il y avait des règles qu'ils devaient respecter à tout moment, que ce soit dans le gymnase ou en dehors. L'entraînement intensif commençait seulement, je passais à travers les différents combattants et voyais que certains d'entre eux avaient vraiment du mal et que d'autres trichaient, eux avaient un traitement spécial, des séries de tractions et de cordes en plus. Je continuais à faire souffrir leur corps pendant encore deux heures... Je leur faisais travailler les coups au sol désormais, je démontrais avec un des jeunes pris au hasard, du moins c'est ce que je disais, je choisissais en ressentant leurs intentions. C'était lisible même dans le noir lorsque quelqu'un à de mauvaises intentions.. J'en pris donc un et faisais quelques soumissions et les faisais travailler ainsi par deux.

Je passais entre les différents élèves, l'entraînement n'était pas encore finis que tous mourraient de fatigue, leur corps ruisselant de fatigue, leur visage complétement rouge et essoufflés. Ils étaient à bout de force, et ils pouvaient me haïr tant qu'ils voudraient, ils me remercieront un jour ou l'autre. « Allez, un peu de nerf! L'entraînement n'est pas encore finis... » leur annonçais-je, bras croisés. Et alors que je les faisais mettre debout pour enchaîner sur les sacs de frappe je vis une jeune femme, très séduisante bien que je n'avais plus d'yeux pour elle depuis mon ex-femme... Cependant, elle attirait mon attention avec les mains, je n'étais pas assez en colère contre les femmes pour les ignorer totalement. « Deux minutes de pause, après je veux voir une personne par sac de frappes! ». Je m'en allais donc vers la jeune femme après avoir envoyé tout le monde boire un peu d'eau dans les vestiaires. Une fois à la hauteur de la jolie brune, je gardais ma mine sérieuse et impassible en passant mes bras dans le dos, attrapant avec ma main droite mon poignet gauche. Nus pieds et encore sur le tapis je lui faisais face, elle était très jolie et si je n'avais pas été répugné des femmes j'aurais pu tenter de la séduire et elle aurait pu me faire un effet indésirable. Mais j'étais guéris de toutes ses illusions, de toute cette magie qu'on appelle l'amour, c'était finis pour moi! « Bonjour, Shawn Morison! Que puis-je pour vous? » lui dis-je en la saluant et en plongeant mon regard dans le sien. J'attendais de savoir pourquoi elle était là, et surtout pourquoi elle m'avait fait signe d'approcher, pendant ce temps là, tous mes élèves revenaient en silence et complétement essoufflés. Ce soir ils allaient bien dormir, la fatigue ne leur laissera aucuns répits.

« Bonjour, Shawn Morrison! Que puis-je pour vous?
- Bonjour, enchantée, Mia Stewart. Et bien, vous enseignez les arts martiaux, c'est bien ça ? J'aimerais me renseigner un peu plus sur ce que ce sport est exactement, et si cela me plaît réellement, m'inscrire à votre club. »

L'homme me regarde avec insistance, mais sans dévoiler aucun de ses sentiments. C'est assez déstabilisant, et j'essaie de soutenir son regard tout en n'étant pas malpolie. Mr Morrison est imposant, et je dois avouer qu'il m'intimide ; mais il ne me fait pas peur. Il me fait plutôt penser à un gros nounours, ou bien à un garde du corps, toujours là pour protéger la personne qu'il escorte.

Je détourne mes yeux des siens, et observe les jeunes présents dans le gymnase. Je ne sais pas si ce sont des débutants ou déjà des experts, mais quoiqu'il en soit, ils sont épuisés. Ils transpirent tout ce qu'ils peuvent transpirer, sont rouge comme des tomates, et leur corps entier semble appeler au secours. Je regarde à nouveau le professeur, et lui lance aussitôt :

«  C'est ça qu'il me faut. Quels sont les tarifs ? »

Je n'avais même pas besoin de savoir en quoi consistait les arts martiaux mixtes, j'ai su rien qu'à voir la tête de ces enfants, que c'est le sport qu'il me faut. Dépenser toute l'énergie possible, me vider la tête de tout, transpirer, évacuer, souffler. Je suis certaine d'être au bon endroit. Je ne cherche même pas à savoir s'il y a d'autres clubs de ce type, je me focalise sur celui-ci. Cette pièce dégage quelque chose, il n'y a rien de scolaire là-dedans, ce n'est pas une salle à l'odeur du produit d'entretien, je suis même persuadée que les carreaux des lavabos sont abîmés. C'est justement ça qu'il me faut, je ne veux pas du luxe, je veux quelque chose... de « vivant ». Et cet homme, ce Shawn, il sait ce qu'il fait. Il a été marqué par la vie, cela ne se voit rien que par les cicatrices qu'il a le long du bras, et par ce regard. Ce regard, je le connais bien ; c'est le même que le mien. « Ne rien montrer, pour mieux cacher ». Je me demande si sa vie au quotidien est aussi insupportable que la mienne. S'il se torture l'esprit jour et nuit en pensant à son passé. S'il est dans la même galère que moi, quoi. J'aimerais lui demander, là, maintenant, mais pour le coup ça serait vraiment impoli. Et il ne me répondrai assurément pas. Il n'empêche que j'aimerais vraiment savoir si le sport, et particulièrement celui qu'il enseigne l'a aidé à oublier.

« Et, est-ce qu'il faut des papiers particulier ? Un RIB, un certificat de domicile, quelque chose dans le genre ? » je lui demande.

Mia ... La jolie créature s'appelait donc Mia Stewart mais même avec cela, je ne comprenais toujours pas pourquoi elle venait dans un endroit pareil, un endroit si miteux, un endroit qui était ni plus ni moins que chez moi. Je la regardais donc sans réellement comprendre. Je la laissais parler tout en posant dans ma tête une liste de possibilité comme, serait-ce pour un reportage sur le sport, sur la salle? Je ne comprenais pas trop et ne m'attardais pas à répondre et écoutais la suite des choses. Elle paraissait quelque peu captivé par mes élèves, pourtant à bout de souffle et frôlant la mort dû à la fatigue. Puis à ma surprise général, elle me demandait mes tarifs, je continuais de me méfier certes mais je ne vois pas en quoi mes tarifs et le fait qu'elle donne l'impression qu'elle voulait rejoindre nos rangs auraient quelque chose à voir avec un piège, ou une émission à la noix parlant d'un sport qui leur était méconnu. Puis avant même que j'ai pu leur répondre, sortant de mon état de surprise intérieur, je l'entendais déjà proposé les papiers nécessaires à fournir. Je l'interpellais aussitôt, frottant légèrement mon menton en guise de réflexion puis relaissais tomber mon regard sur le sien. Ce n'est pas que je ne voulais pas, au contraire, seulement c'était la première femme que je voyais à vouloir pratiquer ce sport, qui n'était pas le plus doux de la liste des sports de combat.

Je la regardais fixement tentant de visualiser un possible traquenard car ceci ne m'aiderait aucunement de tomber dans un piège, comme si les forces de l'ordre et les huissiers n'étaient pas assez sur mon dos. Puis me persuadant qu'elle pourrait effectivement être là pour le sport et non pour m'apporter davantage de problèmes, je laissais parler mes mots: «Hum .. Écoutez il n'y a pas de catégorie féminine dans ce sport ... Vous êtes la première à vouloir vous inscrire alors je ne sais pas, peut-être que ce n'est pas un bon choix ... Désolé». Je la regardais, puis froidement lui tournais le dos, je faisais quelques pas en frappant dans mes mains pour motiver mes troupes. Puis voyant qu'elle était encore là d'un léger mouvement du regard je soupirais. Comment pouvais-je m'asseoir sur de l'argent, certes c'était la première femme à vouloir pratiquer ce sport, mais jamais je n'avais eus la politique de n'entraîner aucune femme, bien que c'était en aucun cas commun. Je faisais demi-tour aussitôt et revint à sa hauteur, posant mes mains sur mes hanches. « 15 dollars par entraînement, vos papiers je m'en moque... Suivez-moi!» Je me dirigeais vers l'entrée et posais mon doigt sur l'affiche des horaires, je lui indiquais chaque fois qu'elle pourrait venir. Je n'indiquais à aucun moment un cours commun avec les autres, même les plus amateurs qu'il soit. Peut-être que je la surprotégeait car elle n'était pas du même gabarie, de la même force et du même sexe que les autres, mais je le faisais. Je la saluais et au dernier moment je lui disais: «Ne soyez pas en retard ou c'est terminé..» puis me diriger vers les tapis afin d'assurer la fin des exercices... Cette scène vint rester gravée à mon esprit, j'avais été froid et dur en échange de sa sympathie et son argent, mais je me méfiais, et j'étais comme ça. C'était devenu ma deuxième nature, ma nouvelle façon d'être après tout ce qui m'était arrivé... Les combats, les coulisses remplis de traîtrises et de coups bas, un mariage basé sur l'argent, la maladie qui avait emporté mon père, les dettes de mon ex-femme, cette bagarre se finissant en prison pendant quelques années... Je m'étais forgé une protection d'acier, que je pensais impénétrable..

Le lendemain, 20h30, la séance était finie, et je rangeais l'ensemble du matériel lorsqu'un bruit de pas vint m'interrompre. Je relevais les yeux vers leur provenances et souriais en continuant aussitôt ma besogne. La jeune femme, Mia, était venue finalement avec un sac de sport à son épaule. J'indiquais du doigt une porte et lui annonçais: «Les vestiaires sont là, tu as trois minutes... ». Toujours aussi froid, mais j'acceptais tout de même de l'entraîner, je préparais quelques exercices, en préparant une corde pour la grimper, des anneaux pour faire des tractions, une barre de traction fixée déjà au mur, libérant également le banc de musculation... J'attendais son retour en plaçant deux poids sur la barre lorsqu'elle effectuait enfin son retour en tenue. Aucun bonjour, aucune politesse je lui demandais tout simplement: «Pourquoi tu es là au juste? Si c'est pour de mauvaises raisons comme la vengeance tu peux déjà repartir, on est pas là pour se battre, on est pas là pour savoir se battre... Si tu te bats hors du gymnase, c'est terminé les entraînements, on est bien clairs?» Je la laissais enfin assimiler toutes ces conditions, et enfilais un sweat-shirt gris à capuche, la refermais par dessus mon débardeur restant ainsi avec le large short noir. Je m'approchais des exercices et les expliquer un à un ne cherchant pas à comprendre ce qui lui passais par la tête, je lui démontrais, elle comprenait et ça s'arrêtait là. «Pas de combat tant que tu n'es pas en forme.. C'est parti, au boulot. Dix tour de circuit!». Le circuit étant un tour de chaque atelier dans l'ordre d'explication de chaque exercice.. Je la regardais en l'accompagnant sur chacun des ateliers, la conseillant froidement, criant pour la forcer à dépasser les limites... La dureté et la froideur faisaient parti de moi désormais...

Le coach ne répond pas, il semble réfléchir. À quoi ? Il ne peut pas me donner les tarifs, tout simplement ? Après une petite minute de réflexion, il me répond. « Pas de catégorie féminine.. désolé.. » Quoi ? Il me tourne le dos, et repars en direction de ses élèves. Non non non, ce n'est pas possible, il ne peut pas refuser. Il ne peut pas refuser ! J'ai enfin trouver, au bout de cinq ans... Cinq ans ! LA solution à mes cauchemars quotidien, le moyen d'être saine d'esprit. Il ne peut tout simplement pas me refuser ça, je n'en veux plus de ses frayeurs perpétuelles, je n'en peux plus d'avoir peur en permanence, d'avoir cette rage constamment au fond de moi. Je suis décidée à faire ces arts martiaux, et je le resterai coûte que coûte. Je ne bouge pas d'un poil, et attend s'il le faut la fin du cours, pour m'expliquer avec ce monsieur Morrison. Je reste de marbre, un regard poignant et froid -encore plus hargneux que d'habitude- posé sur lui. Je sers la mâchoire, énervée. L'homme se retourne enfin, je n'aurais pas eu à patienter longtemps. Il me lance froidement les tarifs de ses cours, et m'invite à le suivre. Un petit sourire se dessine sur mon visage, discret, presque indescriptible. Morrison m'indique les différentes horaires auxquelles je peux venir, trois jours par semaine, dont demain soir. Je réfléchis rapidement, elles sont compatibles avec mes horaires de travail. Je hoche la tête pour montrer que j'ai enregistré, et marmonne un « D'accord, merci. » Je replace mon sac à main correctement sur mon épaule, regarde une dernière fois cet homme si mystérieux, et me dirige vers la sortie. Je l'entends alors dire qu'il ne faut pas que je sois en retard, ou c'en est fini des cours. Il n'aura pas à s'inquiéter pour ça, s'il le faut je pourrais même être en avance. Je pousse la porte du gymnase, et vais retrouver ma voiture. Je rentre dedans, met le contact et tout en faisant le chemin inverse pour rejoindre mon appartement, je repense à cet « entretien » que j'ai eu avec le coach. Il était froid, méfiant, mais cela ne m'a pas repoussé. Je suis pareille, et je pense que quelque part je le comprends. Si cela m'a vexée qu'il ne veuille tout d'abord pas de moi parce que je suis une fille ? Oui bien sûr. Je trouve ça sexiste, et puis je ne me considère pas comme toutes ses autres filles qui disent avoir une vie remplie de problèmes parce qu'elles se sont fait largués par l'« homme de leur vie » avec qui elles étaient depuis deux semaines. Ces filles-là non rien vécue, et elles m'horripilent plus que tout. Alors oui, ça m'a blessée qu'il me prenne comme toutes ces midinettes sans cerveau. Mais il aura en fin de compte cédé à la tentation... de l'argent peut-être. Peu importe, je suivrais ses cours. À 15$ par séance, trois fois par semaine, cela fait approximativement 200$ par mois, si mes calculs sont bons. Je ne suis pas certaine d'avoir autant d'argent pour les loisirs à la fin du mois, mais je ferai tout pour suivre ses cours. Enfin tout, non pas vraiment, je ne rentrerai pas à nouveau dans le cercle de la prostitution. Deux ans m'ont suffit.

Le lendemain. Journée banale, la routine. Levée à 6h30, arrivée au boulot à 8h00, quittée le boulot à 12h00, retournée à 13h30, et quittée pour la journée à 17h45. Il y a tout de même eue la future ex-femme de mon patron qui est venue lui rendre visite pour lui faire signer quelques papiers concernant le divorce. Cette dame est vraiment particulière. La raison du divorce ? Elle pense que son mari la trompe avec moi. Ce qui n'est pas le cas, mais il faut croire qu'elle est très paranoïaque. Ou alors, mais je n'ai pas osé le dire devant Eddy, je suis l'excuse que sa femme cherchait pour divorcer. Peut-être bien qu'elle a un amant, mais qu'elle ne trouvait aucune raison rationnelle pour divorcer. J'aurais au moins servie à quelque chose ; et puis mon patron ne semble pas trop perturbée par son divorce. Peut-être bien qu'il a lui aussi une amante.

20h00. J'ai mangé, préparé mes affaires, regardé quelques minutes la télé, et je m'apprête à sortir. Je vérifie une nouvelle fois que j'ai tout, mon pantacourt et mon t-shirt de sport, des baskets au cas où, une bouteille d'eau, et 15 dollars. Je sors de mon appartement, ferme la porte à clé et descends rapidement les escaliers qui mènent au rez-de-chaussée. Quatre étages, ce n'est pas la mer à boire. Ma voiture est garée dans le parking réservé aux locataires de l'immeuble, je marche donc quelques mètres avant de l'atteindre. Il fait froid dehors, alors je m'empresse de rentrer dans mon auto et d'allumer le chauffage. Je mets le contact, et m'engage dans la rue. Je roule vite, peut-être un peu trop, mais je ne veux surtout pas être en retard. Je freine d'un coup sec pour laisser passer une ado sur un passage piéton, et accélère de plus belle. J'aperçois le gymnase et tourne à droite pour me garer sur le petit parking. Je n'oublie pas mon sac, ferme la voiture et trottine jusqu'au bâtiment. Je pousse la porte, et aperçois monsieur Morrison. J'avance d'un pas plein d'assurance, arrive à son niveau. Il m'indique les vestiaires, j'y entre et me change rapidement. Je passe mes mains dans mes cheveux et les joins en un chignon serré avant de rejoindre mon entraîneur. Pendant que j'enfilais mes vêtements de sports, il avait préparé la salle. Bizarrement, il n'y a personne d'autre, je suis sa seule élève. Est-ce qu'il y a si peu de gens intéressés par les arts martiaux ? Pourtant je me rappelle avoir vu une bonne douzaine de jeunes hier. Mais peu importe, Morrison m'enseignera les arts martiaux, c'est le plus important. Il me demande alors pourquoi j'ai choisis de faire ce sport. Je ne vais certainement pas lui déballer ma vie comme ça, mais je le rassure néanmoins :

« Non non, pas de bagarre en dehors, ne vous en faites pas pour ça. Je continue à le vouvoyer même si lui me tutoie, j'ai un peu du mal à être familière avec quelqu'un d'aussi impressionnant. Je, c'est, c'est juste pour me sentir plus en sécurité, voilà tout. »

Je ne lui ment pas, mais ne lui dis pas tout non plus. Bien sûr que si Ben me retrouve, je n'hésiterai pas à lui flanquer une bonne rouste. Le coach me montre alors différents exercices, que j'essaie d'enregistrer au mieux. Après m'avoir présenté tous les ateliers, je devais faire... « Dix tours de circuit ! » Dix tours ? Je restai bouche bée pendant quelques secondes, avant de secouer la tête et de me lancer sur le premier atelier. Cela n'allait certainement pas être facile, d'autant plus que je suis sa seule élève. Je serais donc la seule à souffrir et il n'y aurait personne pour me lancer des regards encourageants. Mais je l'ai voulu, alors je ne bronche pas, et exécute ce que Morrison me dit. Après avoir fini le premier exercice, je m'engage sur le deuxième. Le coach est toujours derrière moi à me crier dessus pour me dire ce qui ne va pas, ou tout simplement pour me dire d'aller plus vite. Il est hargneux et froid, mais ça ne m’atteins pas. Je reste concentrée sur les exercices, et seule la taille imposante de cet homme continue de m'impressionner.