Impossible de me défaire de cette impression d'impuissance lorsque la salle est pleine et les lumières éteintes. Seule au milieu de la scène j'ai peur. Peur de ce qu'ils pourraient tous penser de moi. C'est un fait, j'ai besoin de plaire aux autres. De savoir que je les intéresse et que je ne suis pas décevante. J'ai été trop rejetée pour considérer que tout est acquis. Alors je vis dans la crainte de redevenir une inconnue. Qu'on se moque de moi m'anéantit... J'ai souvent l'impression que tout s'effondre dans ces moments ... La faute à mon incroyable manque de confiance ! Malgré mon inattendue popularité je suis bien incapable d'oublier le passé, terribles souvenirs. Ceux qui se sont tant moqué ont bien tenté de revenir vers moi depuis que mon talent a pu prendre son envol mais je ne pardonne pas si facilement. Quasiment impossible de me faire revenir sur mes positions et je ne compte pas oublier ce qu'ils m'ont fait subir un jour. Pour tous les autres je n'ai que de la tendresse. Chaque personne a le droit d'être entendue et connue. Je ne juge jamais sur une impression et mon sourire plein de chaleur n'est pas un masque. La célébrité soudaine ne m'a pas encore emportée loin de la Terre et j'aime avoir un geste pour mon prochain. J'adore par dessus tout qu'on vienne à ma rencontre. C'est tellement plus simple quand les autres font le premier pas ...

J'ai 10 ans ♫
Je voulais juste m'enfuir, courir aussi loin que possible. Mais déjà mon père m'avait rattrapée. J'entendais les rires des autres tout autour de moi. Je ne m'en détachais jamais. Ils me poursuivaient toutes les nuits. Les larmes ruisselaient sur mon visage. Les journées d'école étaient toutes plus difficiles les unes que les autres. Ce matin je voulais éviter la cuisante honte que j'allais encore y subir. Pendant que mon père laçait ses chaussures, j'étais partie par la porte de derrière. J'avais cru être discrète mais mon père avait les yeux et les oreilles partout. Je n'avais même pas pu atteindre la rivière. C'était notre refuge à Emris et moi. Nous y passions des heures. Il était mon seul ami, la seule personne capable de me faire oublier les rires des autres un instant. Papa m'installa dans la voiture. Mon visage était fermé. Arrivée devant la porte de l'école il fallut me forcer pour me faire entrer. Je gardais les yeux rivés au sol jusqu'à ma place. J'entendais les chuchotements autour de moi. Je ne pouvais pas les regarder. Je me détestais presque autant qu'eux. Jamais je ne me regardais dans un miroir. Les autres m'avaient rejetée parce que je n'étais pas la plus jolie. J'avais les bras potelés et le corps difforme.

Tu n'es plus là ♫
Mon cri déchira les nuages. Il pleuvait. Jamais je n'avais passé une journée aussi affreuse. Je regardais sa boîte avancer le long de l'allée centrale. Il était là dedans. Le cercueil paraissait minuscule, moi qui le trouvait si grand et si fort. Dans l'église on avait d'yeux que pour nous trois. Famille brisée par la mort d'un des leurs. Emris n'était plus qu'un corps. Il était parti, sans moi. Ma mère me poussa vers l'estrade. Pas un regard pour moi, elle fixait ses chaussures. Mes larmes ruisselaient quand je m'approchais du micro. Notre chanson l'accompagnerait pour l'éternité. J'inspirai profondément avant d'entamer le couplet. Ce n'était pas lui qui m'accompagnait cette fois. Je sentais sur moi les regards de pitié. "Bouboule a perdu son seul ami". Personne n'osait briser cet instant entre lui et moi. Pour une fois il n'y eut pas de rires. Pour une fois ils me laissaient exprimer ma peine.

Je suis fou de vouuuuus ♫
Il l'avait quitté. Il avait quitté maman pour quelqu'un d'autre. Un homme. Son regard était si triste depuis quelques jours. Elle ne savait pas sur quel pied danser. Elle était prostrée au fond du canapé, les yeux rivés vers la télé. Je ne savais même pas si elle la regardait vraiment, où même si elle l'écoutait. New York devait nous rendre notre vie, celle que nous avion perdue quand Emris était parti. Mais "The Big Apple" avait achevé ma mère. Son mari l'avait quitté pour un autre homme. Tous les matins je me levais en priant pour que ça ne m'arrive jamais. Je croyais en mon destin. Adam était là pour moi. Nous faisions face aux difficultés ensemble. Ce soir il venait manger avec maman et moi. Il fallait que je parvienne à la faire sortir de l'état de légume dans lequel elle s'était plongé et Adam avait le don de réveiller les plus endormis avec des remarques mordantes. Lui tenant la main, je me plantais devant maman. "Nous allons passer à table." Elle restait impassible. Ma lèvre trembla. Adam retint mes larmes, faisant passer sa force par une pression douce sur ma main.

Ca me vexe ♫
Ma mâchoire se serra. Un sourire forcé à l'adresse de Claus et je quittais la pièce. La salle de répèt était notre lieu favori. Nous y passions des heures, à nous raconter nos vie. Il me parlait d'un mystérieux compagnon. Quelqu'un qu'il avait rencontré. Il en était fou. Son portable avait sonné alors qu'il était parti aux toilettes. Sans idée particulière de fouiller j'avais ouvert le message qu'il recevait. Parce qu'il était mon meilleur ami, qu'on se racontait tout et qu'il faisait exactement la même chose de son côté. Adam. Quelques mots doux. Des images m'avaient frappées au visage. Je revoyais ma mère, figée dans le canapé à longueur de journée. J'entendais ses larmes et sa peine. C'était mon tour. C'était ma faute. J'avais toujours attiré le malheur. Ma tête tournait. Quand Claus était revenu je lui avais simplement signifié que j'avais quelque chose à faire. Il s'était moqué légèrement, comme d'habitude. Parce que j'étais avec lui depuis plus d'une heure et que tout d'un coup j'avais quelque chose à faire. Son -presque- infaillible sixième sens l'amena à proposer un rendez vous galant. Si seulement. Je quittais la pièce d'un pas rapide. Ma tête était pleine de souvenirs. Adam et moi. Papa et maman. Même schéma. Je courais presque pour regagner la maison et me jeter sur mon lit. Les hauts parleurs de la chaîne à fond. Je ne pouvais pas y croire. J'aimais encore tellement Adam. Notre séparation n'avait rien facilité, au contraire. Lui était simplement passé à autre chose. Il m'avait oubliée, effacée.